RENDEMENT SPATIAL
Dimension 68 – mai 2023
Un bureau circulaire insuffle une nouvelle vie dans une zone industrielle morne
Des projets temporaires stimulent le développement
La zone du canal à Vilvoorde est en plein développement. Des nouveaux logements remplacent une industrie morne. Dans l’attente du développement définitif du site, des projets temporaires donnent de la couleur au quartier. Un des accroche-regards est le bâtiment entièrement circulaire de l’agence de publicité Happiness Brussels. La construction, qui a eu une première vie à Rotterdam, s’adapte et se démonte facilement. En réutilisant un bâtiment existant sur un site qui sera un jour entièrement aménagé, on investit deux fois dans le rendement de l’espace.
« Il y a trois décennies, l’endroit était occupé par des usines et des entrepôts. À un moment, les gens se sont dits que ce site méritait mieux », déclare Didier Cortois, exploitant de la Kruitfabriek et échevin de l’Economie et Contrats de quartier à la ville de Vilvoorde.
La ville a alors lancé un projet pour insuffler une nouvelle vie au quartier. Vilvoorde voulait que les gens puissent y habiter, y vivre et travailler au bord de l’eau. À hauteur du Steenkaai, le projet résidentiel 4 Fonteinen a vu le jour. La Kruitfabriek est le seul vestige du passé industriel de la ville. Le bâtiment est aujourd’hui un haut lieu pour la culture et les événements. Didier Cortois: « La Kruitfabriek devait générer un sentiment de quartier. Tout démolir et ériger des immeubles d’appartements n’est pas si difficile, mais vous ne créez pas un quartier mais un environnement résidentiel stérile. Nous voulions faire de la Kruitfabriek une sorte d’incubateur: que peut-on faire à cet endroit ? Que peut-on y intégrer plus tard en termes de fonctions ? »
L’agence de publicité Happiness Brussels s’est installée juste à côté dans le cadre du projet d’exemple circulaire Happiness Harbour. Son arrivée a donné un coup de pouce à l’ambiance créative qui y régnait. Tant Happiness Harbour que la Kruitfabriek sont des exemples d’utilisation temporaire de l’espace, l’une des quatre stratégies visant à accroitre le rendement de l’espace. À terme, ils devront faire place au développement définitif du site.
La demande : de Bruxelles la mondaine à Vilvoorde la sympathique
L’agence de publicité était auparavant installée dans une villa imposante du Bois de la Cambre à Bruxelles. Une croissance rapide l’a contrainte à déménager. Karen Corrigan, CEO de Happiness Brussels: « Notre premier plan était d’avoir la même chose mais ailleurs. Nous avons alors réalisé que le résultat final d’une ‘copie’ n’approcherait jamais les qualités de l’original. » L’agence a donc chargé les architectes d’adopter une autre approche.
L’histoire du projet d’exemple circulaire Happiness Harbour a démarré à l’école primaire ‘De Kleine Pijler’ à Rotterdam. La Verbeke Foundation avait racheté un bâtiment conteneur à l’école. Au domaine de la Verbeke Foundation à Stekene, il a servi d’espace d’atelier. Les architectes Cuypers & Q ont ensuite repris le bâtiment et l’ont transformé en un concept de bureaux à part entière.
La solution: faire ressortir l’enfant qui est en vous
L’histoire du bâtiment était importante pour l’agence de publicité. Karen Corrigan : « Sur la façade, il y a encore des photos d’enfants – un clin d’œil au passé de l’école. Un passé étroitement lié à notre état d’esprit. La créativité consiste à faire ressortir l’enfant qui est en nous. Dès que l’on commence à penser comme un adulte rationnel, le processus de réflexion créative s’éteint. »
Les architectes Cuypers & Q ont tenu compte du bâtiment et de l’environnement proche. Ilze Quaeyhaegens d’architectes cuypers & Q : « Au fil des ans, l’endroit était devenu misérable et il y avait des problèmes avec des jeunes. Le développement de la Kruitfabriek a attiré du monde et des activités dans la zone. Un développement supplémentaire sur ce terrain vague ne pouvait être que bénéfique. »
L’exécution: sortir systématiquement des sentiers battus
Les valeurs de la construction circulaire sont le fil conducteur du projet. Sur le plan technique, un projet engagé dans une réutilisation maximale présente des défis. Le bâtiment est équipé pour la récupération des eaux de pluie, un wadi sert de tampon pour les pluies abondantes. Le système d’aération a été modifié et réutilisé. Les radiateurs ont été conservés mais ils sont raccordés à une nouvelle chaudière à haut rendement. Les sanitaires de l’ancienne école ont été réutilisés. Les conduites sont montées en surface pour faciliter l’installation et le démontage.
Il a fallu séparer les containers de l’ancienne école pour pouvoir les transporter. Ilze Quaeyhaegens : « Le détachement des éléments a provoqué des blessures qui sont restées visibles. Au lieu de chercher une solution transparente, nous avons été mis au défi d’intégrer ces lésions de manière responsable dans l’ensemble. »
Le fait de sortir systématiquement des sentiers battus rend le projet plus complexe. « Il n’y avait pas de cahier des charges prêt à l’emploi. Nous avons dû prendre de nombreuses décisions ad hoc », poursuit Ilze Quaeyhaegens. « Le mot clé était ‘liberté’. Il faut faire confiance aux partenaires et ne pas leur dire comment ils doivent faire leur travail. Lâcher du lest n’est généralement pas une évidence pour un architecte, mais c’est essentiel pour mener un tel projet à bonne fin. »
Les atouts: absolument tout est réutilisé
Happiness Harbour est un projet circulaire par excellence. Les architectes ont poussé le principe du réemploi dans les moindres détails. Le plus grand nombre possible de matériaux ont reçu une seconde vie, depuis le sol du bâtiment jusqu’à tout ce qui se trouve à l’intérieur. « C’est pour nous un projet laboratoire, un projet clé que l’on ne rencontre que toutes les quelques années dans une carrière », continue Ilze Quaeyhaegens. « Un exemple : le marbre des tables de la cuisine et du bar provient du chantier d’un hôtel à Leuven où nous avons travaillé, Tafelrond. L’entrepreneur avait soigneusement collecté le matériel de démolition pour que nous puissions le réutiliser. Et au lieu d’avoir des murs standards, nous avons pensé que ce serait une bonne idée de faire appel à l’artiste Jason Van der Wouden. Il s’est mis au travail avec des chutes de bois et du verre de démolition. »
Le donneur d’ordre, Happiness Brussels, a tout de suite été séduit par l’idée circulaire. Dans le bâtiment, on trouve des objets et des matériaux qui reçoivent une seconde vie. Le Lion d’or que l’agence a gagné au Festival international de la publicité à Cannes sert par exemple à suspendre les serviettes – les pattes du lion sont parfaites pour cela. Et le Grand Prix remporté à Cannes fait office de contrepoids à l’éclairage du comptoir.
La vision du réemploi est cohérente avec la temporalité du projet. Happiness Harbour ne restera pas éternellement. L’agence devra à terme faire place à l’aménagement définitif du site. C’est pourquoi le concept se concentre sur la flexibilité maximale du site. Tous les matériaux peuvent recevoir une nouvelle vie dans un autre projet. La zone évolue avec les besoins sociétaux et les plans ambitieux de la ville de Vilvoorde. « Quand nous partirons d’ici, c’est comme si nous n’y serions jamais venus », souligne Karen Corrigan.
Utilisation adaptable et temporaire de l’espace
« Tout ce qui est ici peut disparaître », souligne Ilze Quaeyhaegens. « Jusqu’aux fondations réalisées avec des colonnes ballastées, sans béton ni dalles Stelcon. Il ne restera rien dans le sol. À terme, le locataire doit pouvoir remettre le tout dans son état d’origine. Les containers peuvent être séparés, empilés et recevoir une autre destination. » Pour Ilze Quaeyhaegens, c’est le rôle qu’un architecte doit jouer. « Nous pensons à notre empreinte sociale et à la manière de gérer le bâti. Si ce bâtiment peut remplir un rôle social important pendant quelques années, alors notre mission est réussie. Toutes les architectures ne sont pas destinées à durer éternellement. Répondre aux besoins sociaux, avec des bâtiments susceptibles d’évoluer, c’est cela aussi l’architecture. »
Ce qui pourrait être amélioré : une législation pas adaptée aux projets de laboratoire
La législation complexe a donné du fil à retordre aux architectes cuypers & Q. « La législation n’est pas conçue pour un projet expérimental comme celui-ci. Nous avons dû faire des choses qui ne sont pas autorisées », souligne Ilze Quaeyhaegens. « Ce qu’il faut, ce sont des personnes visionnaires au sein de l’administration communale qui sont prêtes à sortir des sentiers battus. Nous avons trouvé heureusement un partenaire bienveillant à la ville de Vilvoorde. Et avec Happiness, nous avons pu compter sur un partenaire visionnaire. Nous nous sommes vraiment trouvés dans ce projet. »
Un grand problème est que la législation PEB n’est pas adaptée aux caractéristiques particulières de Happiness Harbour, poursuit Ilze Quaeyhaegens. « Pour un bâtiment comme celui-ci, il n’existe pas de modèle de calcul. Une législation et des normes strictes sont bonnes et nécessaires mais il faut tenir compte du contexte – en l’occurrence, le caractère temporaire de notre projet. Il est économiquement et écologiquement irresponsable de se conformer à toutes les normes PEB car dans quelques années, ce bâtiment n’existera plus. L’investissement à consentir est disproportionné par rapport au rendement. »
Fiche technique
Livraison : 2016
Emplacement : Steenkaai 42, 1800 Vilvoorde
Donneur d’ordre : Happiness Brussels
Équipe de conception : cuypers & Q architecten
Entrepreneur : Verbeke Foundation – placement conteneurs, construction, démontage, électricité
Jeroen De Smet – plomberie
DNA – cuisine, éléments intérieurs, raccordements façade
KM – intérieurs, revêtement du sol
Bijloos – rideaux
MBG – travaux d’aménagement
Bureau d’études : UTIL structuurstudies
VINCO engineering – techniques
Budget: €650.000
Superficie : 1.175m²
Rédaction: Palindroom
Photos : Marc Sourbron
Cet article est publié dans le cadre du projet ‘Ruimtelijk Rendement’, pour le compte du Département Environnement du gouvernement flamand.