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Dimension 66 – novembre 2022

“Il y a assez de potentiel dans le parc immobilier existant”

Evy Waegeneire – NONA Architectuur

Tôt ou tard, chaque bureau d’architecture doit focaliser sa vision et la communiquer aux clients et aux collaborateurs potentiels. C’est un défi, en particulier pour les jeunes bureaux qui n’ont pas (encore) une réputation ou une portefeuille bien organisé qui les précède. Evy Waegeneire en fait notamment l’expérience. Si le nom de son bureau NONA Architectuur est d’après le site web l’acronyme de ‘No-Nonsenseaanpak binnen Architectuur’, elle nous révèle au cours de l’entretien une signification autrement plus importante : l’adaptation de ‘nonna’ en italien, une référence directe à l’ancien.

L’ingénieure-architecte Evy Waegeneire a grandi à Brakel et étudié à Gand mais son cœur bat pour Bruxelles. Elle y a trouvé un logement – qu’elle transforme en un concept de co-housing – et a suivi des formations supplémentaires en photographie et urbanisme avant de fonder son bureau d’architecture. D’abord au sein d’un espace de co-working à Forest, ensuite dans un appartement au cœur de Molenbeek dont la vue donne sur le canal de Bruxelles. « A Forest, nous étions dans un recoin de la ville », dit-elle. « Nous voulions être dans l’action, un endroit où les fonctions urbaines se rejoignent et où il y a notamment une excellente connexion avec les transports en commun. »

La ville en général, et Bruxelles en particulier, est le terrain de jeu et d’action de NONA Architectuur. « En ce qui nous concerne, le contexte urbain est très intéressant. Rien que sur le plan de la mobilité, un logement urbain est un choix plus durable qu’une villa en bordure de ville, par exemple. Au lieu d’aborder un espace ouvert, nous voulons exploiter tout le potentiel en y ajoutant une plus-value. Nous considérons un peu cela comme notre responsabilité éthique. En tant que bureau bruxellois, il est logique que nous fassions quelque chose dans la capitale et pas à Anvers ou à Gand. Nous connaissons le contexte urbain comme notre poche. »

Une mise à l’échelle continue

NONA Architectuur est un jeune bureau fondé en 2018. Evy Waegeneire avait à l’époque dix petites années d’expérience sur le terrain. « J’ai effectué la première année et demie de mon stage à l’Atelier Tom Vanhee, qui s’appelait alors Room & Room. Tout était à petite échelle, tant l’équipe que les missions, c’était un lieu de stage valorisant. Contrairement à certains collègues en stage à cette époque, j’ai pu découvrir toutes les facettes du métier. Dès le premier jour, j’avais les pieds dans la boue. »

Cependant, Evy Waegeneire est consciente qu’il faut découvrir une autre échelle. Au dernier trimestre de son stage, elle rejoint donc la grande équipe de l’Atelier MA+P où elle est restée en service jusqu’en 2018. « A l’époque, l’Atelier MA+P travaillait avec douze voire dix-huit collaborateurs et j’ai appris énormément de choses sur les missions publiques, principalement dans la construction de bâtiments scolaires et le logement social. Mais avec le temps, l’aspect créatif commençait à me manquer. Une fois que vous accumulez de l’ancienneté dans un grand bureau, vous reprenez automatiquement davantage de tâches administratives, de support et de direction. Le contraste avec mes propres projets de logement, majoritairement privés, que je dirigeais à l’époque et que je suivais de A à Z, était saisissant. De plus, j’avais commencé un master en Urbanisme à la VUB et je voulais reprendre le contrôle de mon planning. Il était temps de faire le grand saut. »

Peu de temps après la fondation de NONA Architectuur, Evy Waegeneire remporte avec StevenALICE Architects un contrat-cadre pour le gouvernement flamand qui comprenait notamment la construction de plusieurs dépôts de sel ainsi que la rénovation du dépôt mortuaire du sanatorium Joseph Lemaire à Tombeek. NONA Architectuur s’est également vu confier la responsabilité finale de plusieurs projets de rénovation et de restauration. « En partie grâce à ce contrat-cadre, j’ai pu engager mon premier collaborateur au bout de six mois. Aujourd’hui, il y a quatre collaborateurs fixes et actuellement un stagiaire. Bien entendu, cela signifie aussi, en tant que chef d’entreprise expérimenté, que vous risquez de retomber rapidement dans la fonction administrative alors que des collaborateurs moins expérimentés se chargent de la conception. C’est après tout ce qu’ils ont appris pendant leur formation. Pour éviter cela, nous travaillons selon une structure horizontale et chacun reprend tous les aspects du métier. Lors d’un nouveau recrutement, il faut rechercher un nouvel équilibre. C’est à chaque fois une mise à l’échelle du bureau et un glissement de rôles. »

Conçu pour la vie

Bien que le contrat-cadre du gouvernement flamand ait donné une impulsion à la croissance de NONA Architectuur, Evy Waegeneire considère le projet de rénovation privé de la Villa Zilverberk à Bonheiden comme un premier projet clé. Alors entreprise unipersonnelle, NONA Architectuur a réalisé une rénovation énergétique majeure de la maison patrimoniale datant de 1939 et l’a ouverte sur le jardin paysager via une nouvelle extension vitrée en double hauteur. Le nouveau concept de mobilier encastré, qui sépare le salon et la nouvelle cuisine, offre une double fonction adaptée aux résidents : un espace de rangement, d’une part, et une maisonnette pour les enfants, d’autre part.

« C’est l’un de mes premiers projets et le trajet fut intensif », se souvient Evy, « mais cela représente bien ce qu’est NONA Architectuur. Toutes les valeurs fondamentales présentes dans ce projet sont des piliers que nous défendons encore aujourd’hui dans notre pratique. Au niveau du concept et de la forme, il s’agit principalement de luminosité, de visibilité, de circulation et de sensation d’espace. Au niveau du projet, il y a le rafraîchissement et la revalorisation d’un patrimoine existant et la création de logements viables. Si les ambitions sur les bancs de l’école portent souvent sur des missions publiques prestigieuses, nous apprécions grandement la tactilité de toutes sortes de projets, tant à petite qu’à grande échelle. »

Une préférence qui s’exprime également dans la rénovation d’une maison de maître à Anderlecht. Si les visiteurs du site web perçoivent la visibilité immédiate du projet à travers le dallage vert unique de la salle de bain, Evy Waegeneire avance plutôt comme interventions majeures la connexion des différents niveaux. « Comme le vélo est le principal moyen de transport des habitants, la fenêtre côté rue a été ouverte et la rue est reliée au sous-sol semi-enterré par une rampe. Le sous-sol abrite un espace de travail qui génère à son tour, via un vide, une connexion avec la cuisine. Et si le jardin était à l’origine à mi-chemin entre l’étage de vie et le sous-sol, un jeu de terrasses en escalier permet aujourd’hui à tous les espaces d’avoir une connexion physique avec le jardin urbain. En d’autres termes, nous partons des besoins parfois très personnels du maître d’ouvrage mais nous essayons toujours – en combinant d’autres conditions préalables comme la réglementation et le contexte existant – de les traduire en un seul geste central. »

« La ville est notre terrain de jeu. Au lieu d’aborder un espace ouvert, nous voulons exploiter autant que possible le potentiel existant. » – Evy Waegeneire, NONA Architectuur

Rénovations durables

Pour Evy Waegeneire, le fait que les projets de rénovation de NONA Architectuur soient conçus selon les souhaits du client ne doit pas être un frein à la flexibilité et à la vendabilité. « Nous n’allons pas déterminer comment un maître d’ouvrage doit vivre, ce qui ne veut pas dire que nos concepts soient anecdotiques. À Anderlecht, notre intervention touche par exemple à une problématique bien connue des maisons de maître. Les futurs habitants profiteront donc aussi de cet avantage et de la plus-value. Dans d’autres cas, nous veillons toujours à ajouter la qualité utile en termes de luminosité, de vue et de sensation d’espace, et à ne jamais avoir d’effet de blocage. La maisonnette à la Villa Zilverberk n’est finalement qu’un placard, et lors de la rénovation d’une maison multifamiliale, les deux appartements ont été conçus de manière telle que les volumes similaires actuels en forme de L peuvent être transformés en un grand et en un petit appartement. »

La durabilité est pour NONA Architectuur une notion vaste à multiples facettes où la mobilité, la flexibilité et la circularité jouent un rôle. Sur le plan technique, le bureau recherche d’abord un compromis responsable entre le contexte existant, le prix de revient et l’aspect énergétique. « Nous essayons d’aller le plus loin possible mais cela dépend beaucoup de la volonté du client. Dans le contexte actuel, elle est heureusement en train d’augmenter. De plus, nous insistons pour que l’enveloppe du bâtiment soit traitée en profondeur à chaque projet de rénovation. Ce sont des gros travaux uniques que l’on ne peut pas réaliser plus tard sans causer de dommages. Si le budget s’avère insuffisant pour réaliser l’ensemble des travaux, il est plus logique de reporter par exemple le placement de la nouvelle cuisine. Certes, il faut tenir compte de la disposition et de l’agencement. »

Evy Waegeneire souligne une nouvelle fois l’importance d’une vue d’ensemble. « Dans la plupart des maisons mitoyennes de la ville, on ne peut pas isoler ainsi la façade, du moins pas de l’extérieur. Mais est-ce par définition problématique ? Je ne pense pas. Comme déjà mentionné, un tel logement a d’autres qualités durables. »

Concevoir, c’est communiquer

En fin de compte, ce n’est pas la technique ou la créativité mais la communication qui est la clé d’un projet réussi, estime Evy Waegeneire. « Nous aimons discuter avec nos clients pendant toute la durée du projet, non seulement pour clarifier notre vision et justifier des choix de conception mais aussi pour apprendre à les connaître, savoir comment ils vivent. Il faut aller plus loin que les questions qui les mènent à nous. Beaucoup de personnes ne sont pas conscientes de certains modèles, d’habitudes et d’affinités mais si certains éléments viennent à disparaitre, ce peut être vécu comme dérangeant. Voilà pourquoi nos clients repartent avec des devoirs. Quelle est la première chose que vous faites en rentrant chez vous ? Où enlevez-vous vos chaussures ? Comment vous déplacez-vous ? Où donnez-vous à manger au chat ? Via l’échange et la communication, nous essayons d’aller au cœur du sujet. »

« Nos clients repartent souvent avec des devoirs. Pour savoir comment ils vivent, il faut aller plus loin que les questions qui les mènent à nous. » – Evy Waegeneire, NONA Architectuur

Pendant le processus de conception proprement dit, il y a encore des entretiens et des discussions. « En principe, chaque esquisse voit le jour lors d’un atelier interne. Nous travaillons ensuite très consciemment, portes fermées, et nous nous asseyons autour de la table avec l’équipe du projet où chacun exprime ses idées. Le concept final ressort de ce brainstorming. » Lorsque les partenaires de construction externes comme les bureaux d’études et les rapporteurs PEB sont impliqués dans une phase ultérieure, ils bénéficient du même traitement. « A chaque collaboration, même lorsque nous démarrons un projet avec des collègues architectes, nous nous efforçons d’instaurer une culture de compréhension, de respect mutuel et de confiance. Après tout, nous partageons notre vision et nous n’avons pas à rivaliser. Cela s’applique tant à l’urbanisme qu’aux autres services. Parfois, il suffit d’engager la conversation. La Villa Zilverberk a ainsi donné lieu à une modification de la loi sur la rénovation énergétique. »

Si la communication est efficace durant le projet, Evy Waegeneire perçoit cependant des points d’amélioration dans l’approche de NONA Architectuur, notamment dans ce qui précède un projet. « Nous savons très bien ce que nous représentons et nous pouvons le communiquer clairement lors d’entretiens avec les maîtres d’ouvrage (potentiels) et les partenaires de construction mais en substance, ils devraient connaître notre vision au préalable. Cela signifie que toute notre communication, y compris notre site web et les médias sociaux, doit refléter cette vision. Cela se produit dans certains domaines – sur base de notre portefeuille, peu de personnes nous contactent pour une nouvelle construction hors du contexte urbain – mais nous voulons mieux déployer cela. De cette manière, nous espérons attirer directement les bons clients et travailler plus efficacement. »