THÈME
Dimension 62 – décembre 2021
Mémoire bâtie
À propos de l’avenir du patrimoine moderniste
Les temps sont cruciaux pour notre patrimoine moderniste. Comment peut-on conserver notre patrimoine du vingtième siècle pour les générations futures ?
Ces derniers mois, il y a eu de l’agitation dans l’opinion publique à propos des restaurations – actuelles ou pratiquement terminées – du Château des comtes de Flandre gantois et du Steen à Anvers. Dans le même temps, une icône moderniste menace de s’effondrer sans faire bruit. A Ostende, le conseil communal a en effet décidé de démolir l’ancien complexe aquatique brutaliste de Paul Felix et Jan Tanghe. Malgré une résistance des milieux architecturaux et patrimoniaux, la ville d’Ostende semble confiante, peut-être renforcée par le manque d’intérêt du grand public. La piscine risque de devenir un dossier symbolique, pas tant pour Ostende qui chérit une tradition de négligence ou de démolition du patrimoine, mais pour la Flandre et sa gestion du patrimoine moderniste.
Un patrimoine moderniste?
Il est remarquable de voir comment l’annonce de la démolition soulignait que le bâtiment de la piscine ‘n’était pas un monument protégé comme le reste du site’, suivi de : « La Ville d’Ostende veut renforcer la valeur patrimoniale de ce site. » L’argument est que la piscine n’a aucune valeur patrimoniale, et est une situation idéale où le bâtiment n’a pas – jamais – existé.
La politique du patrimoine fait actuellement l’objet d’une révision. Lancée au milieu des années ’70, la protection du patrimoine est aujourd’hui interrompue, en partie parce que le système de subvention ne serait financièrement plus viable. La question est de savoir quelle est la valeur qui sera attribuée au patrimoine moderniste. Par leur ancienneté, les monuments séculaires ont démontré leur valeur pour la communauté, qui veut les protéger davantage. Le patrimoine plus récent, comme les maisons Art nouveau, a dernièrement été rasé, sans rougir. Un sort similaire attend une partie de notre patrimoine moderniste, certainement s’il n’est pas considéré comme un héritage.
Une nouvelle fonction?
La piscine d’Ostende est un cas intéressant car, d’une part, elle est devenue ‘superflue’ après avoir perdu sa fonction au profit d’un nouveau complexe construit un peu plus loin. D’autre part, le grand hall peut parfaitement être transformé en une halle urbaine (semi)ouverte qui – assez ironiquement – s’intègrerait idéalement dans le nouvel aménagement du parc que la ville souhaite donner au site.
La recherche d’une nouvelle fonction, fondée sur une gestion dynamique du patrimoine, où tout bâtiment ne peut devenir un musée mais doit être rentable d’une autre manière, est une question qui va se poser pour les bâtiments plus modernistes. Notamment pour une série de villas modernistes, où il sera intéressant de voir si – du fait de leur statut de villas mal isolées bâties sur des parcelles beaucoup trop grandes – elles survivront à nos idées actuelles.
Restauration complexe
Ceci nous amène à un autre point délicat des bâtiments modernistes : les modes de construction appliqués étaient souvent innovants et un tel travail de pionnier est rarement durable. C’est tout un défi de trouver la bonne attitude par rapport à ces projets. Les logements sociaux bon marché doivent-ils subir des restaurations très coûteuses pour conserver la valeur de l’image exacte ou est-ce que cela ne correspond finalement pas à l’esprit du projet ? Des bâtiments iconiques, comme la Maison Roelants de Willy Van der Meerens, justifient assurément cela. Lors de la restauration par Callebaut architectes, un produit a été développé qui étanchéise l’enveloppe en béton, exactement comme Van der Meeren l’avait prévu, mais aujourd’hui – plus de cinquante ans plus tard – la technologie est vraiment disponible.
Flexibilité
A l’instar de la fonction ou de la matérialisation d’un bâtiment qui doit être ouverte au débat, ce doit aussi être le cas pour l’apparence globale. Pourquoi ne pas décaper les annexes si on peut conserver le magnifique hall de la piscine brutaliste à Ostende ? Certains bâtiments devant absolument être conservés en l’état peuvent être poussés dans un corset rigide, mais si vous voulez augmenter les chances de survie du patrimoine, alors une certaine liberté s’impose. Avec l’aide d’architectes, un étage a par exemple été récemment ajouté à la Maison Van de Vliet de Paul Neefs, et le résultat réussi prolonge la vie du bâtiment. Une remarque importante ici : maintenant que nous sommes tous plus conscients de notre impact en tant que concepteurs sur l’utilisation de l’énergie ou des matériaux, nous devrions saisir toutes les opportunités pour donner une vie supplémentaire aux bâtiments de qualité.
Patrimoine (post-)moderniste
Dès que nous serons parvenus à adopter une attitude envers le patrimoine moderniste, la question suivante se posera déjà. Tout ce qui a été réalisé dans l’air du temps et le style du postmodernisme peut compter aujourd’hui sur un soutien moindre, même dans les cercles d’architecture. Dernièrement, un premier bâtiment postmoderniste a été inscrit à l’inventaire du patrimoine architectural bruxellois, ce qui n’est pas synonyme de protection. Lors de la planification de la démolition d’une partie du siège de la KBC – certes peu intéressant – Kristiaan Borret s’était étendu sur « l’adieu à un vestige postmoderne datant des années ’80 qui s’est effondré dans la ville. C’est l’interprétation belge d’une interprétation américaine de l’art déco. On a que ce qu’on mérite. Après 25 ans, il sera remplacé par un bâtiment de qualité supérieure. » Espérons que les meilleurs exemples de l’architecture postmoderniste seront appréciés avec le temps.
Rédaction: Ir.-Arch Arnaud Tandt