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Dimension 60 – mai 2021

“La créativité naît pendant l’entretien”

Nele De Smet et Johan Verstraete – Evolta Engineers & Architects

Si nombre d’entre nous préfèreraient oublier l’année 2020, Evolta Engineers & Architects en garde cependant un souvenir positif. Le bureau multidisciplinaire a en effet fêté ses quarante ans, signé un contrat-cadre avec la Défense et nommé Nele De Smet en tant que CEO. Evolta prend indéniablement un bel élan, bien que Nele De Smet et le project manager ir.-arch. Johan Verstraete veillent à ce que le développement reste axé sur les objectifs.

En tant qu’ex-alumna de Vlerick et disposant d’un bagage en sciences de communication, Nele De Smet n’était pas la CEO la plus évidente pour un bureau d’ingénierie et d’architecture. Elle a pourtant repris l’entreprise familiale de son père Jozef De Smet qu’il avait fondée il y a quarante ans en tant qu’entreprise individuelle. Les 99 collaborateurs et les cinq sites ne lui ont pas été servis sur un plateau d’argent. « Mon père a toujours accordé la priorité à son entreprise », explique-t-elle. « Entrer chez Evolta sans expérience n’était pas une option. J’ai donc d’abord travaillé durant cinq ans comme consultant en management chez Accenture avant que mon père ne me demande en 2004 de reprendre la fonction de business development manager. J’ai été particulièrement impressionnée par les résultats tangibles dans le secteur de la construction et la contribution à long terme apportée à l’environnement. Bien que je n’avais pas de formation technique, j’ai rapidement appris à poser les bonnes questions et à offrir un regard neuf. C’est un bon complément à l’expertise technique disponible en interne, et cela nous aide à élaborer des solutions inventives. »

D’un acteur de niche à un généraliste

Chez Accenture, Nele De Smet s’est naturellement spécialisée dans le domaine de la stratégie, l’organisation et la gestion du changement. Une fois entrée en fonction, elle a organisé des audits et enquêtes pour nourrir les exercices de réflexion stratégiques et définir les valeurs fondamentales. Une de ces valeurs est la multidisciplinarité. « C’est un peu surprenant quand on sait que mon père était un acteur de niche à l’origine », poursuit Nele De Smet. « Mais pourtant, cela a toujours été dans nos gênes. En tant que spécialiste en contrôle de qualité et de quantité dans des projets on- et off-shore prestigieux, mon père a toujours travaillé au sein d’une grande équipe multidisciplinaire. Il a notamment été impliqué dans les travaux du Delta aux Pays-Bas et du pont Storebaelt au Danemark. Progressivement, il a formulé des solutions aux problèmes qu’il rencontrait, de plus en plus de disciplines ont été intégrées et Evolta a évolué en un bureau d’ingénierie multidisciplinaire pour les travaux de construction, d’infrastructure et d’aménagement extérieur. »

Quand le pur volet technique d’ingénierie a atteint ses limites, Evolta a recherché des solutions pour inclure l’aspect créatif-conceptuel dans l’activité. Au départ, des partenariats structurels étaient établis avec des architectes. Il y a eu notamment la réalisation du siège d’Eandis à Melle, un concept d’Axel Verbeke et une étape importante pour Evolta et Nele De Smet. « C’était notre premier projet d’architecture et mon baptême du feu en tant que project manager », se souvient-elle. « Le trajet d’apprentissage était particulier. »

Le bureau de Johan Verstraete (ingénieur-architecte, KU Leuven) et son associé Jacques Verbeke (architecte, Sint-Lucas Gent) à Ostende ont été des partenaires réguliers d’Evolta. « La collaboration était optimale », souligne Johan Verstraete, « si bien qu’en 2010, lorsqu’Evolta a décidé de créer sa propre société d’architecture multi-professionnelle via des acquisitions ciblées, nous avons décidé de nous impliquer dans cette histoire. A l’époque, notre expérience, fondée sur un bon quart de siècle d’architecture, était bien ancrée et nous avons pu nous consacrer au développement du département Bâtiments. Aujourd’hui, 25 personnes y travaillent, et un peu plus de la moitié sont des architectes. »

« La variation et la diversité nous permettent de garder un regard neuf. Chaque jour, nous sommes exhortés à étudier et à explorer des choses, et à proposer des solutions créatives. »

Axé sur l’individu et le fonctionnel

La diversité est une autre valeur fondamentale, étroitement liée à la multidisciplinarité visée par Evolta et indispensable dans le portefeuille. Nele De Smet: « Nous nous engageons dans un large spectre de missions, de la réalisation d’un nouvel auditoire dans une haute école à la conception de logements sociaux ou d’un nouveau centre de soins résidentiel. L’année dernière, nous avons décroché un contrat-cadre pour la Défense : un portefeuille de 20 à 40 projets par an qui vont de la rénovation d’un bloc sanitaire à la construction d’un bâtiment avec un ponton de plongée à Zwijndrecht. Ces projets ont des échelles, des budgets et des complexités typiques. Et nous ne parlons ici que du département Bâtiments. A côté de cela, nous sommes actifs dans des projets d’aménagement extérieur et d’infrastructure. »

« Nous ne sommes pas un bureau de niche qui ne construit que des appartements », souligne Johan Verstraete. « Un choix conscient car par la variation et la diversité, nous gardons un regard neuf. C’est ce qui est beau dans ce métier. Chaque jour, nous sommes exhortés à étudier et à explorer des choses, et à proposer des solutions créatives. On ne peut pas être dans la répétition. C’est à chaque fois un nouveau défi pour nos collaborateurs, et cela crée de la confiance et de la satisfaction. Finalement, nous savons que nous pouvons gérer n’importe quel projet. »

Nele De Smet admet qu’il faut une certaine poigne. « Pour les personnes qui sont parties par le passé, cette diversité était parfois un écueil. C’est compréhensible parce que cela demande énormément d’énergie. Voilà pourquoi nous recherchons désormais un équilibre qui comporte encore de la variation mais pour lequel nos collaborateurs peuvent acquérir de l’expertise. L’année dernière, nous avons fait cet exercice pour le département Infrastructure, et nous avons aujourd’hui des équipes dédiées à la mobilité durable, aux espaces publics, à l’homme et à l’environnement. Au département Bâtiments, nous distinguons l’architecture orientée vers l’homme comme les bâtiments de soins, les écoles et les centres de rencontre, et l’architecture fonctionnelle. Dans cette dernière catégorie, nous faisons notamment référence au centre de distribution réalisé pour Lidl ou au bâtiment combiné pour Evonik qui abrite une zone de réception, le service incendie, le service médical et des locaux de formation. Compte tenu des nombreuses fonctions, le bâtiment doit être parfaitement opérationnel. »

Adapté au client et à l’utilisateur

Eviter la répétition dans l’offre de solutions implique une certaine forme de personnalisation. « Notre architecture ne peut pas se résumer en une série d’éléments de style » poursuit Johan Verstraete. « C’est principalement la collaboration avec le client qui définit le résultat final. Quelles sont ses attentes ? Que veut-il atteindre avec le projet ? Autant de questionnements pour l’architecte, dont les réponses ne sont pas toujours claires. Il faut parfois créer l’opportunité. Si nous avons déjà réalisé ce type de projet par le passé, nous organisons par exemple une visite chez quelques références. Cela rend les choses tangibles et permet d’avoir rapidement une idée de ce que veut ou ne veut pas le client. »

« Outre le client, la perception de l’utilisateur final est essentielle », poursuit Nele De Smet. « Nous connaissons tous les hôpitaux et leurs labyrinthes. Ce n’est plus admissible de nos jours et, heureusement, une plus grande attention est accordée à la signalisation. Un CSR ne peut plus être perçu d’un point de vue fonctionnel. Il faut garantir la qualité de vie. Ce n’est pas tant une question d’esthétique, mais de confort. Est-il agréable de séjourner ici ? Les résidents peuvent-ils y trouver leur bonheur ? »

Le maître d’oeuvre n’a-t-il pas parfois le recul nécessaire? « Nous avons la chance d’avoir des clients bien informés », continue Johan Verstraete. « Nous ne travaillons pas pour les particuliers mais pour des organismes publics et des entreprises qui, outre leur expertise interne, sont soutenues par des bureaux de coordination et autres partenaires professionnels. En termes de développement durable et de réglementation, les décisions sont donc mûrement réfléchies. S’il y a malgré tout des points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord, nous les étayons pour qu’ils puissent juger nos arguments. Tout n’est pas noir-blanc. Il faut parfois rechercher une solution intermédiaire, en respectant le budget, par exemple. »

« La communication, la coordination, la confiance, et non la spécialisation, sont les pierres d’achoppement de nombreux projets de construction. »

Franchise

L’importance d’une argumentation honnête – ou la franchise comme le souligne Nele De Smet – est tissée dans tous les aspects de l’organisation. « Le grand avantage de la diversité et de la multidisciplinarité de notre bureau est la proximité des différents profils impliqués dans un projet de construction. Les lignes de communication entre les architectes, les ingénieurs, les coordinateurs de sécurité, …, sont courtes, au sens propre comme au figuré. La communication, la coordination, la confiance, et non la spécialisation, sont les pierres d’achoppement de nombreux projets de construction. »

A cet égard, le facteur personnel joue un rôle crucial. « Il faut pouvoir se faire confiance, connaître les sensibilités de l’autre. Le fait que diverses expertises se rencontrent au réfectoire – lors des conditions de travail normales – crée une bonne base de cohésion. Cette année, nous allons la renforcer en mettant en place des équipes multidisciplinaires fixes. Il est important d’avoir un groupe suffisamment étoffé et diversifié pour être flexible et complet, mais aussi compact pour garantir la cohésion et la franchise. »

Johan Verstraete l’a expérimenté de près. « Après notre intégration dans Evolta, la valeur ajoutée de la proximité avec les ingénieurs et l’architecture est rapidement apparue. La réflexion créative et son interprétation sont des missions pour les architectes et les ingénieurs. Cela n’a pas de sens de dire, en tant qu’architecte, de faire comme ceci ou comme cela et puis de sous-traiter les calculs aux ingénieurs. Il faut réfléchir ensemble et recourir à nos propres expertises. Impliquer les ingénieurs dans le processus créatif permet d’obtenir des résultats étonnants. »

Une telle franchise est plus difficile à atteindre avec des partenaires externes, soulignent Johan Verstraete et Nele De Smet, mais cela vaut toujours la peine d’essayer. « Lorsqu’une expertise spécifique est exigée, comme des connaissances en voies navigables dans le cas du ponton de plongée pour la Défense, nous sommes obligés, en tant que généraliste, de faire appel à d’autres partenaires. Notre métier est à ce point complexe, et les missions sont si uniques, qu’il est illusoire de penser avoir une expertise interne dans tous les domaines. Et finalement ce n’est pas nécessaire, à condition de savoir quand vous dépassez votre expertise. A terme, travailler dans une équipe de construction et en étroite collaboration avec le maître d’œuvre, l’entrepreneur, les universités, … deviendra incontournable. Ici aussi, nous sommes convaincus que la plus-value d’un projet se situe dans l’interaction d’avis dissidents et de perspectives diverses. »

« Il faut réfléchir ensemble et recourir à nos propres expertises. Impliquer les ingénieurs dans le processus créatif permet d’obtenir des résultats étonnants. »

Impact durable

Entrepreneuriat, résilience, inventivité, franchise, telles sont les valeurs que Nele De Smet souhaite véhiculer à travers Evolta. Elle parvient à résumer l’ambition du bureau en quelques mots : « Un beau monde en équilibre. Des gens heureux en développement. Une entreprise durable en mouvement. »

Le mouvement, Evolta le doit notamment au contrat-cadre signé avec la Défense. Le bureau a l’assurance d’avoir de nombreux projets supplémentaires dans les années à venir. « Pour mener tout cela à bien, nous recherchons actuellement de nouveaux collaborateurs », indique Nele De Smet, « car l’expansion de nos équipes nous apportera l’agilité nécessaire. De plus, c’est une constance supplémentaire pour nos collaborateurs, qui continuent à se sentir bien chez Evolta. Pour cette même raison, nous voulons fusionner nos deux bureaux à Moerbeke en un site central en Flandre orientale. » En ce qui concerne le beau monde en équilibre, Nele De Smet revient à son intérêt initial pour le monde de la construction. « L’architecture a un impact explicite et durable sur le monde. Il faut respecter cela. Voilà pourquoi nous nous alignons sur les Objectifs de développement durable des Nations Unies. La question centrale que nous nous posons est de savoir comment traduire ces objectifs à notre échelle et à nos activités. »

TEXTE: ELISE NOYEZ