@HOME  
Dimension 51 – février 2019

DMOA – Ingénieurs architectes Benjamin Denef et Matthias Mattelaer

«Quand nous nous engageons, nous tenons parole»

Pendant leur formation d’ingénieurs architectes, ils cohabitaient à Louvain et partageaient une passion pour les dernières méthodes d’imagerie, souvent au détriment de leur scolarité proprement dite. Après quelques années de pratique, ils se sont associés pour créer leur propre bureau où design, artisanat et innovation font bon ménage. Ils trouvent cette synthèse cruciale, car quand les pièces du puzzle s’emboîtent bien, le résultat ne peut qu’être au rendez-vous. Ajoutez à cela une bonne dose d’idéalisme, et tous les ingrédients sont réunis pour que la recette du bureau louvaniste DMOA soit un succès. DIMENSION s’est entretenu avec Benjamin Denef et Matthias Mattelaer, ses pères fondateurs.

La vue depuis le penthouse dans leur nouvel immeuble de bureaux – le KRUUL – qui borde le quartier des Leuvense Vesten est impressionnante. «Le matin, nous profitons pleinement du soleil»: les deux ingénieurs-architectes acquiescent à notre surprise. Le KRUUL, bien implanté sur un bout de terrain de 60 m² à côté des Leuvense Vesten au niveau du parc Ruelens, une oasis de bungalows verts et seniors dans le style Expo 58 de la société immobilière SWaL, représente toutes les valeurs de DMOA: design, ingéniosité technique, raffinement, innovation et engagement social. Le bâtiment a pris la place d’un immeuble d’angle en ruine. Des fondations sur pieux, nécessaires en raison de la nature marécageuse du sol, ont été utilisées pour installer des boucles qui récupèrent la chaleur/le froid du sol. Pendant les périodes plus froides, une pompe à chaleur porte cette énergie à une température plus élevée, afin de la distribuer à travers les éléments laissés visibles de la structure en béton par activation du noyau en béton. Des panneaux solaires fournissent l’électricité pour la pompe à chaleur et le fonctionnement de base du bureau. En collaboration avec le WTCB, le CO2 et la température sont enregistrés afin que les architectes puissent étayer leurs cours au moyen de chiffres. Le mur latéral adjacent à un chemin d’accès au parc est équipé du Muurmelaar, un projet de mémoire de maîtrise de Maarten Houben, étudiant à l’Université de Louvain, sous la direction du professeur Andrew Vande Moere (groupe de recherche Research[x]Design). Une combinaison de caméras, d’un algorithme, de blocs de bois et de petits marteaux intégrés dans la façade offre aux passants quelques notes de xylophone, qui varient en fonction de démarche. La façade en béton damé est constituée d’un mélange de sable couleur chocolat extrait à proximité et de ciment blanc, que l’équipe de DMOA a damé elle-même. «C’est une technique ancienne, mais avec des ajouts contemporains, comme le renforcement en acier inoxydable et les ancrages en composite de basalte qui servent de rupture de pont thermique. Nous avons choisi cette solution afin d’obtenir la façade la plus mince possible et d’exploiter au mieux le petit terrain. La façade mesure 15 mètres de haut mais n’a que 10 cm d’épaisseur. Comme espaceurs pour le coffrage coulissant, nous avons placé des baguettes en bambou, qui forment maintenant un biotope pour les abeilles.» La balustrade de l’espace extérieur autour du penthouse est ancrée de manière invisible dans les murs de béton.

Les bureaux étanches avec climatisation ne sont pas faits pour les architectes. Toutes leurs fenêtres s’ouvrent et sont en bois de châtaignier. C’est un choix audacieux du point de vue de la charge, mais totalement écologique car cette essence pousse très vite. Les tables de la salle à manger/de réunion au niveau 0 et celles du penthouse sont un design propre en bois massif et en acier, et se combinent à volonté. La grille de pierres céramiques ouvertes collées dans la cuisine du bureau est un clin d’œil ludique.

Partenaire en R&D

Dans l’ensemble, KRUUL est un scénario surprenant pour un bureau d’architectes qui présente principalement des maisons unifamiliales sur son site Web. Les architectes reconnaissent qu’en l’occurrence, l’habit ne fait pas le moine. «Nous décrivons l’ADN de notre bureau comme une combinaison de savoir-faire et d’innovation. Nous voulons développer et réaliser de nouvelles idées et applications, souvent sur la base d’anciennes connaissances et compétences. Nous aimons quitter notre zone de confort pour nous aventurer là où nous n’avons pas pied, même si notre démarche est toujours scientifiquement étayée. De plus, nous avons suffisamment de persévérance et de capacité à nous enthousiasmer pour obtenir des résultats. Jusqu’à présent, nous nous sommes positionnés dans le logement, où nous pouvons explorer les matériaux et les techniques, et célébrer notre amour pour le design et le détail, le métier du designer. Toutefois, à l’approche de notre dixième anniversaire et de la construction de notre bureau, nous envisageons actuellement de réévaluer nos activités. Quelles sont nos valeurs? Que savons-nous bien faire? Où voulons-nous aller? Le marché du logement privé est sous pression, tant sur le plan spatial qu’économique. Au sein de DMOA, nous avons expérimenté ces dernières années un certain nombre de choses qui pourraient, le moment venu, démarrer leur propre vie en tant que spin-off. Par exemple, nous louons le rez-de-chaussée et le penthouse de notre bureau pour des événements B2B à des entreprises, des universités ou des organisations à but non lucratif, et un de nos employés passionné de cuisine s’occupe de la restauration. Ces moments nous donnent l’occasion d’évaluer les possibilités de pollinisation croisée et de promouvoir notre propre projet humanitaire, Maggie, dont nous allons parler dans quelques instants».

«Nous nous présentons également comme un partenaire potentiel pour la R&D. Par exemple, nous assistons un producteur qui fabrique des textiles pour façades vertes. En tant qu’architectes, nous sommes idéalement placés pour intégrer tous les aspects: le tissu textile, le système d’irrigation, les profils, les détails fins. Récemment, nous avons vendu à un entrepreneur néerlandais un prémélange du béton damé utilisé ici, ce qui nous a permis de récupérer une partie des coûts de notre étude. Nous venons de remporter un concours de l’OVAM avec BUUR, ce qui nous permet de faire partie d’une équipe d’experts pour la conversion circulaire des friches industrielles et de contribuer dès à présent au processus préliminaire. Pour la maison provinciale située à côté de la gare de Louvain, où les pare-soleil du côté sud posent problème depuis quinze ans, nous avons proposé une solution artistique constituée de stores en bois qui évoquent l’impression de rideaux ondulant vers l’extérieur et créent une atmosphère chaleureuse. Pour l’Imec, qui a besoin d’un tampon de 400 postes de travail temporaires pour une période d’environ sept à dix ans, nous avons réalisé une étude de faisabilité impliquant des conteneurs sur mesure. Étant donné le coût des systèmes plus performants sur le plan architectural, nous leur avons proposé de développer un Imeccano, un conteneur sur mesure démontable et circulaire en CLT avec une finition intérieure en bois et une durée d’amortissement de cinq ans. Nous attendons à présent leur réaction. Pour une entreprise qui souhaite installer des conteneurs avec des équipements de mesure de la pollution de l’eau au Chili, nous avons conçu un système avec des équipements intégrés, des panneaux solaires encliquables et des éoliennes, qui peut être expédié tel quel. Là aussi, nous attendons un éventuel feu vert. Nous réfléchissons occasionnellement avec l’équipe de conception d’un fabricant de briques à de nouveaux modèles de façades et systèmes de construction. Nous nous intéressons également aux constructeurs de préfabriqué, car en raison du manque de personnel sur les échafaudages, la préfabrication et la robotique vont certainement prendre de l’importance. Tout cela s’inscrit parfaitement dans notre méthode de travail, où le processus compte au moins autant que le résultat final.

Mais ces exemples sont loin d’épuiser l’éventail des possibles. «Étant donné notre affinité avec le design pur, nous étudions également la possibilité de créer notre propre ligne de meubles. En outre, nous disposons déjà d’une organisation à but non lucratif distincte pour les projets humanitaires que nous voulons développer davantage. Notre immeuble de bureaux nous incite à envisager nos propres développements immobiliers, par exemple dans des endroits où personne ne considère que c’est faisable. Nous, les architectes, détenons la clé des projets innovants, alors pourquoi ne pas les valoriser, du moment qu’il s’agit de projets de qualité pour tous? Aujourd’hui, chaque bureau est confronté au paradoxe que plus on est créatif et plus on investit de temps dans un dossier, plus la rémunération est maigre. Nous avons un besoin urgent de modèles plus nombreux afin de pouvoir monétiser correctement notre valeur ajoutée».

ASBL humanitaire

Le volet humanitaire, déjà mentionné à plusieurs reprises, fait de DMOA un véritable outsider dans le monde de l’architecture classique. Et dire que tout a commencé avec le football junior… Benjamin Denef: «Mon fils joue dans la même équipe que le fils de Bart Peeters, un autre habitant de Louvain qui a de l’expérience chez Médecins sans frontières, entre autres. Un jour, Bart m’a demandé si, vu notre prédilection pour les pistes inexplorées, nous voulions réfléchir avec lui à une alternative aux grands abris classiques qui sont utilisés dans les situations d’urgence. Les premiers mois, ces tentes constituent une excellente solution; mais comme, selon les statistiques internationales, les réfugiés restent en moyenne douze ans dans ces camps, il faut une structure plus solide qui pourra également servir à diverses fonctions plus tard: soins médicaux, éducation, centres communautaires... Lors d’une première séance de brainstorming avec plusieurs volontaires, nous nous sommes vite rendu compte que l’idéal était que l’enveloppe extérieure soit constituée d’un tissu flexible, et donc facile à transporter. L’isolation et la protection thermiques et acoustiques exigent une masse importante, c’est pourquoi il fallait des «poches» en tissu qui puissent se remplir facilement de terre ou d’un matériau isolant. Avant de réaliser vraiment ce que nous faisions, nous avions soumis un dossier d’innovation. Grâce à cet argent et à notre propre travail bénévole, nous avons réussi à mettre de côté suffisamment d’argent pour financer la participation de tiers et réaliser un prototype de Maggie, une structure qui combine l’aspect d’une tente et les qualités d’un bâtiment, avec une surface au sol standard de 100 m². Au plus fort de la crise des réfugiés, le gouvernement belge a acheté un premier exemplaire pour les admissions d’urgence supplémentaires à Steenokkerzeel. Grâce à la contribution de plusieurs partenaires pour, notamment, la construction de la pompe à chaleur, le remplissage des murs et l’éclairage, le prix d’achat a permis d’atteindre le break-even. Entretemps, il a été décidé de laisser Maggie à Steenokkerzeel, où les enfants de réfugiés l’utilisent comme un espace multifonctionnel; Maggie est devenue incontournable au centre.»

Maggie goes to

Les attentes étaient élevées. Le cabinet d’architectes était convaincu que les organisations d’aide internationale adopteraient le concept de Maggie, dont la presse a parlé dans le monde entier, notamment à l’occasion du MoMa et de la Biennale de Venise, et qui a remporté plusieurs prix, dont un prix Henry van de Velde Design. Après de longues consultations avec les principaux acteurs lors de diverses conférences et d’événements de networking, ils ont établi une matrice de 30 critères, souvent vitaux, auxquels un abri doit répondre. Cete matrice rassemble pour la première fois dans un seul document les exigences de base en matière de confort, de sécurité, d’hygiène, de durabilité, d’adaptabilité et de possibilités de construction. Mais la réalité du monde de l’aide d’urgence internationale s’est avérée plus récalcitrante que prévu. Les réactions enthousiastes de toutes parts n’ont pas été suivies d’effets concrets, et l’équipe de DMOA a donc changé de cap. Sous le slogan «Maggie goes to», elle a tout misé sur des initiatives locales en coopération avec une ONG locale. Avec l’asbl IRIE, cette approche ascendante a conduit à la construction de deux dortoirs pour un internat au Cameroun. En Irak, un centre éducatif composé de quatre Maggie est au programme; des enfants yézidis traumatisés, capturés par l’EI en 2014, y seront aidés par le théâtre et la danse. Dans le cadre de ce projet, DMOA développe pour Maggie un système de chauffage par le sol prêt à l’emploi, combiné à un chauffage au kérosène pré-assemblé qui peut être stocké en toute sécurité dans un conteneur séparé qui transportera l’ensemble en Irak. C’est une alternative à la solution classique qui consiste à placer les appareils de chauffage dans la tente, ce qui entraîne des risques de problèmes pulmonaires, d’intoxication au CO et d’incendie. En octobre 2019, ils veulent réaliser un projet au Bangladesh pour les réfugiées Rohingyas, avec des installations supplémentaires pour le stockage climatisé des vaccins. L’agence est actuellement dans la dernière ligne droite pour les Grands Défis Canada, avec à la clé un budget suffisant pour financer le fonctionnement médical du projet.

«Nous ne vendons pas des tentes: nous montons des projets humanitaires, nous répondons à des besoins avérés et nous initions une dynamique qui crée de nouvelles perspectives et collaborations. Notre contribution, c’est le savoir-faire pour construire, la gestion de projet et la réalisation concrète. Nous transférons les compétences nécessaires à la population locale et recherchons des fournisseurs locaux pour les matériaux d’isolation, l’électricité, les équipements, etc. Au Cameroun, nous avons monté les tentes avec sept volontaires, dont quatre employés de notre bureau, soutenus par du personnel local que nous avons rémunéré. De plus, nous soutenons les bénéficiaires du projet en organisant les collectes de fonds nécessaires en recourant au storytelling et à des campagnes dans les médias sociaux.»

«Nous voulons développer davantage notre association à but non lucratif, avec des abris Maggie mais aussi avec d’autres techniques et solutions. L’essentiel reste que nous déployons des projets humanitaires basés sur nos compétences en matière de construction et d’innovation. En Tanzanie par exemple, une coopération est prévue avec un cabinet d’architectes polonais qui y construit déjà une école en matériaux locaux, mais que nous pourrions aider pour les phases suivantes.»

Équipes autogérées

L’élargissement des activités s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’avenir du bureau. «Récemment, un de nos ingénieurs architectes a pris le poste de chef de bureau. Ensemble, nous examinons comment nous pouvons nous attaquer aux maux traditionnels auxquels les PME doivent faire face après dix ans. Il n’est pas facile de diriger un bureau qui emploie dix-sept personnes, surtout dans le domaine du logement, étant donné l’évolution que l’on connaît de ce marché. Pour garder ses bons employés, il faut non seulement les payer correctement, mais aussi leur offrir des perspectives. C’est pourquoi nous envisageons de passer à une structure de coopérative. Financièrement, cela ne fera que peu ou pas de différence pour les deux gestionnaires, car nous nous rétribuons modestement pour pouvoir investir pleinement dans l’agence. Par exemple, sur le mur latéral du bâtiment voisin, nous avons fait réaliser une fresque murale par deux artistes russes. On peut considérer cela comme une dépense inutile, mais tout le monde ici en profite tous les jours, et le quartier et les passants l’apprécient, tout comme ils apprécient le Muurmelaar et le coin salon que nous avons aménagé dans le parc. Si, grâce à une structure coopérative, les salariés partagent les joies du meilleur et les peines des moins bonnes années, cela ne fera que renforcer leur engagement pour nous aider à aller de l’avant».

«Mais comment augmenter sa rentabilité? Faut-il demander plus d’honoraires, essayer de travailler plus efficacement et donc de consacrer moins d’heures à un projet, ou plutôt aller vers des projets plus importants ou d’autres activités? Ce dernier choix soulève d’autres questions. Comment définir la mission et la vision? Quelles conséquences cela a-t-il sur nos activités, notre prospection, l’image que nous envoyons au monde extérieur? Pour plus d’efficacité, nous étudions actuellement la possibilité de travailler en équipes autogérées. Jusqu’à présent, l’approche habituelle était que je m’occupe du premier contact avec le client. Ensuite, Matthias, le chef de projet et, si possible moi-même faisions un brainstorming sur le dossier, parce que nous obtenons une meilleure qualité que si quelqu’un travaille seul. Ensuite, nous organisons des réunions avec les chefs de projet, au cours desquelles nous discutons de tous leurs projets. Au lieu d’avoir des réunions par chef de projet, nous préférerions dorénavant avoir des réunions par projet avec toute la mini-équipe autour de la table. D’où le passage à l’autogestion des équipes, qui offre également d’autres avantages. L’envie d’impliquer Matthias et moi dans chaque réunion est atténuée lorsqu’il faut dénouer des nœuds difficiles. Chacun a la possibilité de valoriser ses propres compétences, ce qui accroît la motivation et répond à la demande sans cesse croissante d’expertise et d’interdisciplinarité dans les missions architecturales. Enfin, le chef de projet n’est plus seul lorsque des décisions difficiles doivent être prises. Mais pour l’instant, beaucoup de questions restent sans réponse.»

www.dmoa.be

www.fb.com/DMOAarchitecten

www.maggie-program.org

www.fb.com/maggieprogram

Par Colette Demil et Staf Bellens

«Nous décrivons l’ADN de notre bureau comme une combinaison de savoir-faire et d’innovation. Nous voulons développer et réaliser de nouvelles idées et applications, souvent sur la base d’anciennes connaissances et compétences.»

«Toutefois, à l’approche de notre dixième anniversaire et de la construction de notre bureau, nous envisageons actuellement de réévaluer nos activités. Quelles sont nos valeurs? Que savons-nous bien faire? Où voulons-nous aller?»

«Le marché du logement privé est sous pression, tant sur le plan spatial qu’économique. Au sein de DMOA, nous avons expérimenté ces dernières années un certain nombre de choses qui pourraient, le moment venu, démarrer leur propre vie en tant que spin-off.»

«Nous, les architectes, détenons la clé des projets innovants, alors pourquoi ne pas les valoriser, du moment qu’il s’agit de projets de qualité pour tous?»

«Nous voulons développer davantage notre association à but non lucratif, avec des abris Maggie mais aussi avec d’autres techniques et solutions. L’essentiel reste que nous déployons des projets humanitaires basés sur nos compétences en matière de construction et d’innovation.»

«Pour garder ses bons employés, il faut non seulement les payer correctement, mais aussi leur offrir des perspectives. C’est pourquoi nous envisageons de passer à une structure de coopérative.»