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Dimension 48 – mai 2018

La responsabilité du coordinateur de la sécurité

La sécurité est l’affaire de tous

Un accident est vite arrivé et, dans le cas d’un accident de chantier, le regard accusateur se porte bien souvent sur le coordinateur de la sécurité. Toutefois, la sécurité est l’affaire de tous et un coordinateur de la sécurité ne peut être tenu responsable de chaque accident.

Lorsqu’un accident se produit sur un site, il faut toujours enquêter pour découvrir si le dommage est dû à une faute du coordinateur de la sécurité et s’il existe donc un lien de causalité. La lecture de cet article illustré par un cas d’accident vous permettra d’en savoir plus sur les concepts énoncés ci-dessus.

Il n’est pas illogique qu’en cas d’accident (de travail) sur un site, le coordinateur de sécurité et la qualité d’exécution de sa mission soient examinés, mais on ne peut certainement pas affirmer que le coordinateur de sécurité est toujours « le » responsable de la sécurité sur un chantier. Naturellement, le coordinateur de la sécurité doit – comme tout le monde – toujours respecter, en son âme et conscience, ses obligations légales et contractuelles. Cependant, il ne peut offrir aucune garantie d’un environnement de travail sûr et efficace. Concrètement, cela dépend toujours du respect de ses instructions par les personnes concernées. La sécurité est l’affaire de tous et non la responsabilité d’une seule personne.

Vous trouverez ci-dessous un cas concret de dommage où la responsabilité du coordinateur de la sécurité n’a pas été retenue, en partie parce que :

  1. son plan de sécurité et de santé (plan S&S) a été jugé correct et complet
  2. il a également respecté ses obligations de contrôle et d’assistance pendant la phase de mise en œuvre.

Il s’agit là de deux éléments importants qu’il est intéressant de prendre en considération au quotidien pour vous, en tant que coordinateur de la sécurité. À partir d’un seul verdict, aucune conclusion de grande portée ne peut être tirée, mais cela confirme certains principes, que nous aimerions expliquer plus en profondeur.

Préliminaire : la législation

La coordination de la sécurité est réglementée par la loi du 4 août 1996 (articles 18 et 22) sur le bien-être des salariés dans l’exercice de leurs fonctions et par l’arrêté royal du 25 janvier 2001 (articles 11 et 22) concernant les chantiers temporaires et mobiles (ci-après dénommé « AR CTM »).

La coordination de la sécurité est obligatoire pour tous les travaux de construction exécutés simultanément ou consécutivement par au moins deux entrepreneurs, comme indiqué dans l’article 2§1 AR CTM.

Les règlements prévoient la désignation d’un coordinateur de la sécurité et sa mise en place. Ce sont deux travaux qui, dans la pratique, sont souvent effectués par une seule et même personne.

Cas de dommages : les faits

Un accident de travail s’est produit dans un immeuble de dix étages en cours de construction : l’ouvrier X travaillait au rez-de-chaussée à l’installation de panneaux isolants à l’intérieur d’un puits pour des conduites. Deux autres ouvriers, Y et Z, à des étages supérieurs, étaient en train de placer des tuyaux dans le même puits. Y, à l’aide d’une corde, a fait descendre une barre d’armature (qui devait servir de fil à plomb de fortune) du huitième étage à travers le puits. Mais, la corde s’est avérée trop courte pour abaisser la barre. Y a donc hissé à nouveau l’instrument et a attaché la corde à un crochet. Le nœud s’est alors défait, causant la chute du fil à plomb. X avait à ce moment-là passé sa tête dans le puits, au rez-de-chaussée, et a reçu le fil à plomb sur la tête. Il est tombé dans le sous-sol trois mètres plus bas et a été transféré à l’hôpital dans un état critique, où il est décédé le lendemain.

La police, au cours de ses observations sur place, n’a trouvé aucun casque de sécurité, et a noté que personne n’avait retiré de casque. Il a également été établi que le puits n’était pas équipé de mains courantes.

Y et Z ont expliqué à l’inspection du travail qu’ils avaient discuté avec X au préalable et que X avait accepté de ne pas travailler dans le puits pendant le forage des trous pour les tuyaux de drainage, car des débris pourraient tomber. Y a également déclaré qu’il avait vu X sans casque. Y le lui aurait indiqué, après quoi X se serait retiré du puits.

Implication et accusation du coordinateur de la sécurité

Une procédure légale est menée par laquelle le coordinateur de la sécurité (appelé ci-dessous CS) au cours de l’intervention est assigné à comparaître. Le montant des dommages s’élève à +/- 350.000 euros. Concrètement, la contrepartie reproche au CS de ne pas avoir agi avec prudence : il ne se serait pas acquitté de ses fonctions de manière adéquate et le sinistre n’aurait pas eu lieu s’il avait été suffisamment prudent.

Plus précisément, il est reproché au CS :

  1. que, lors d’une inspection réalisée un mois avant l’accident, il a été constaté qu’il existait un risque de chute pour le personnel de chantier travaillant en hauteur et que des dispositifs de protection contre les chutes devaient être installés. Si une nouvelle inspection avait été réalisée un peu plus d’une semaine après l’accident, il aurait donc été vérifié que le système de protection contre les chutes avait été mis en place. Or, au cours de deux réunions de chantier entre la première inspection et l’accident, aucun commentaire n’a été fait par le CS.
  2. que dans l’enquête d’accidents de travail, le fait de travailler les uns au-dessus des autres ait été retenu comme la cause première de l’accident et que le CS a indéniablement failli dans sa mission d’organiser la coopération entre les contractants et la coordination des travaux.

La remise en question de la responsabilité

Étant donné qu’un CS n’encourt aucune responsabilité objective ou sans faute, un manquement à toute obligation légale ou contractuelle devra forcément être démontré. Après tout, un accident sur le chantier ne signifie pas nécessairement que le CS ait commis une erreur. En d’autres termes, la contrepartie doit prouver que le CS est responsable en démontrant qu’il a commis une erreur allant à l’encontre des dispositions légales et/ou contractuelles et qu’il constitue un lien de causalité avec le dommage subi.

Toutefois, dans ce cas, la contrepartie ne démontre pas que le CS n’a pas accompli les efforts nécessaires pour respecter ses obligations en vertu de la loi et/ou de l’arrangement. D’une étude du dossier, nous avons pu déduire que l’accident s’est produit en raison d’une combinaison de quatre causes, lesquelles sont expliquées plus en détail ci-dessous :

  1. Les travailleurs travaillaient les uns au-dessus des autres dans le puits à la suite d’une mauvaise communication sur le lieu de travail et ne respectaient pas les arrangements établis.

Il n’est pas démontrable que le CS avait connaissance que les travaux seraient réalisés conjointement et certainement pas qu’il l’aurait planifié de la sorte. Après tout, le dossier fait apparaître que les entrepreneurs ont pris cette décision à ce moment, sans consulter le CS. En outre, le plan S&S indiquait explicitement que l’entrepreneur principal devait élaborer la planification de manière qu’en aucun cas les travaux ne soient effectués les uns au-dessus des autres et que l’entrepreneur devait éviter de hisser des charges. En d’autres termes, c’était une décision du moment, sans la connaissance ou l’approbation du CS.

  1. Un équipement de travail (le fil à plomb) a été abandonné de manière dangereuse.

Encore une fois, nous pensons qu’il n’est pas démontrable que le CS avait connaissance de cet équipement de travail improvisé et qu’il ne peut certainement pas être blâmé pour le fait que les travailleurs l’ont abandonné sans surveillance. En outre, le plan de sécurité et de santé a mis en évidence le danger de chute d’objets et des instructions appropriées ont été données.

  1. Il n’y avait pas de protection antichute.

Nous avons constaté que le CS avait explicitement indiqué dans le rapport d’inspection, un mois avant l’accident, le risque de chute et la nécessité d’installer, dès que possible, une protection contre les chutes dans le puits en question. De plus, des rapports de chantier précédents indiquaient la mise en place de mesures de protection antichute, ainsi que le plan S&S. Nous croyons donc que le CS a assumé ses fonctions comme il était supposé le faire.

  1. Les travailleurs ne portaient pas de casque.

Déjà le premier rapport d’inspection a souligné le besoin impératif d’équipements de protection individuelle, notamment en raison du risque de chute. Le CS a également inclus cela dans les rapports suivants et dans le plan S&S.

En résumé, nous estimons que le CS a toujours suffisamment respecté ses obligations et a fait les efforts nécessaires en termes d’obligations légales et contractuelles. Les éléments de preuve montrent qu’il a toujours formulé les recommandations nécessaires dans les rapports d’inspection, notamment en ce qui concerne les causes de l’accident. Cependant, le CS n’est pas un gestionnaire de site et on ne peut donc s’attendre à ce qu’il soit en permanence sur le chantier. Le CS ne peut être blâmé pour le fait que les entrepreneurs n’aient pas suivi ses recommandations et que, le jour de l’accident mortel, ces derniers aient pris certaines décisions conflictuelles.

Le verdict du tribunal

Le tribunal a blanchi le CS sur toute la ligne. Il a jugé qu’il n’avait pas commis d’erreur pouvant être liée aux dommages et que sa responsabilité ne pouvait être mise en cause. Le tribunal déclare que le CS doit superviser la coordination en matière de sécurité et de santé pendant le travail, attirer l’attention sur les problèmes de sécurité, formuler des recommandations à ce sujet et envoyer des avertissements aux contrevenants potentiels, mais qu’aucune surveillance quotidienne ne peut être exigée. Le tribunal constate que le CS ne pouvait prévoir que certaines activités seraient exécutées en opposition avec les exigences explicites du plan S&S. Le CS ne pouvait pas non plus prévoir qu’un outil de travail serait attaché sans sécurité et abandonné de manière dangereuse, ce qui constitue une erreur dans le processus de mise en œuvre. En outre, en ce qui concerne la protection antichute, le tribunal a jugé que le CS avait accompli son devoir d’avertissement et de conseil, étant donné qu’il a prévenu, dans le rapport d’inspection, le danger de chute et a particulièrement souligné la gravité de la situation. Le tribunal déclare que le CS ne pouvait pas non plus prévoir que la victime ne porterait pas de casque de sécurité et souligne que le CS n’a ni les pouvoirs de la police ni le pouvoir de donner d’ordres aux personnes présentes sur un chantier de construction. Le tribunal a donc statué que les plaintes contre le CS étaient dénuées de fondement et que sa responsabilité n’était pas engagée.

Tom Cromphout

Juriste, Service d’étude Protect